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Yves Navarre dramaturge : « La Voleuse de bigoudis », pièce inédite.

Le Tome 1 des Œuvres complètes d’Yves Navarre, à paraître aux éditions H&O à l’automne 2018, comprend six pièces de théâtre du début des années 70, dont une pièce inédite de 1973 intitulée La Voleuse de bigoudis.

Bien qu’il soit davantage connu comme romancier, Yves Navarre a écrit de nombreuses pièces de théâtre, publiées en trois volumes chez Flammarion en 1974, 1976 et 1982. La plupart d’entre elles furent jouées et continuent d’attirer l’attention. Le goût prononcé de l’auteur pour le théâtre remonte à l’enfance et à l’adolescence, avec la découverte de pièces classiques et contemporaines, en français comme en anglais. La quatrième de couverture de l’édition Flammarion, rédigée par Yves Navarre lui-même, éclaire ces pièces du début des années 70 : « Théâtre d’aveux et de dérisions, entre les peurs et les pleurs, continuellement. Théâtre de sentiments et de situations, où le thème de la famille, de toutes sortes de familles est, selon la confidence de l’un des personnages, abordé de manière « démagogue ET sincère ». Pas de coups de théâtre, mais une succession de coups… Ceux-là même de la vie réelle. Pas de trame dramatique apparente, mais une « tramatique » juste un cran en-dessous du « fleur de peau ». Re-création de la vie qui est aussi une véritable récréation, avec ses moments de joie et les autres… les vrais. »

Chacune des pièces du tome 1 des Œuvres complètes illustre ce que l’auteur appelle le « théâtre de sentiments et de situations », met en scène la famille ou ce qui en fait office, et joue savamment sur un mélange de tonalités allant de la douceur à la violence, du comique au tragique. La Voleuse de bigoudis, pièce inédite de 1973 en un acte et une scène, est un face-à-face entre Elle et Lui, 80 ans. Les deux personnages fêtent Noël, seul moment de l’année où ils se voient, car « si nous avions vécu ensemble nous nous serions détruits ». Il semble même que les courts moments passés côte à côte ne soient pas sans difficulté, comme l’indiquent les reproches qu’ils s’adressent et leur impossibilité de jouer ensemble un morceau de piano : « On veut tous jouer au quatre-mains et on peut pas. Ou quand on y arrive ça pianote, ça fait un vilain bruit mécanique, comme un cœur artificiel. » Le premier volume des Œuvres complètes replace la pièce inédite dans l’ensemble de l’œuvre et dans la production théâtrale en particulier.

Découvrez en avant-première un extrait de La Voleuse de bigoudis d’Yves Navarre
(Œuvres complètes, Tome 1, H&O 2018, à paraître) :

Ils entrent.
Elle. — J’espère que tu as fait des progrès depuis l’année dernière.
Silence.
Oh!
Silence.
Mamour !
Silence.
Tu m’entends?
Elle s’approche de lui.
Fais-moi une bise !
Elle l’embrasse.
Tu vois, je te demande une bise et c’est moi qui la fais.
Elle lui caresse les cheveux.
Tu ne changeras jamais.
Elle réfléchit.
D’ailleurs, on n’a plus le temps de changer, hihi ! Tu m’entends ? Tu as travaillé ton piano ? Tu as fait un peu de solfège ? Tu me l’avais promis. Allons, donne-moi ton manteau.

Il le déboutonne très lentement.

Attention à tes doigts. Et si tu n’as pas fait de progrès gare à toi.
Il s’arrête, la regarde.
Mais non, n’aie pas peur. On va faire du quatre mains. Tu veux ? C’est Noël. C’est la fête. C’est notre fête.

Elle enlève le manteau.

Ce que tu as l’air jeune ! Comme moi. Chaque année nous rajeu- nissons d’un an. Bientôt les culottes courtes !
Elle quitte la scène avec le manteau. Il se tape dans les mains comme un boxeur qui se réchauffe.
Elle. — Hors scène.
 Sers-toi à boire. Il y a un nouveau soda. Le bangola, le nom m’a fait rire, alors je l’ai acheté pour toi.

Elle rentre.


Tu entends, pour toi !
Lui. — C’est gentil.
Elle. — Plus fort !
Lui. — C’est gentil.
Elle. — Ah, c’est comme ça que je t’aime.
Elle l’embrasse, il a l’air un peu dégoûté.
Hum, mamour !
Elle recommence.
Écoute, si nous avions vécu ensemble nous nous serions détruits.
Lui. — Je le sais.
Elle. — Tu dis ça pour me faire plaisir.
Lui. — Oui, pour te faire plaisir.
Elle. — Une fois par an, ça suffit.
Lui. — Je le sais.
Elle. — Nous avons évité le pire.
Lui. — Je le sais.
Elle. — Alors, tu sais tout.
Lui. — Tout.
Elle. — Allons, dis-moi ce que tu as fait pendant un an.
Lui. — Rien.
Elle. — Rien du tout ?
Lui. — Rien du tout. C’est un peu comme si j’avais passé un an sur ton paillasson à attendre que tu rouvres la porte.
Elle. — Flatteur.
Lui. — Moi ? Pas du tout ! Je suis rentré chez moi. Je me suis dit « voilà une bonne chose de faite » puis je me suis mis à compter les jours à rebours. Tu veux que je compte ? 365, 364, 363.

 

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