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Jean Guidoni et Yves Navarre, deux « cas particuliers »

Jean Guidoni, décédé le 21 novembre dernier, peut être qualifié de « cas particulier », en référence à l’un de ses albums. Ses cinquante années de carrière, jalonnées d’une bonne vingtaine d’albums et de nombreux spectacles, souvent inclassables, resteront, dans le monde parfois étrange de la chanson française, comme un exemple surprenant de créations, de remises en question, de ruptures et de renaissances dignes d’un véritable phénix. Yves Navarre, autre « cas particulier », avait croisé sa route…

Alors qu’il est en pleine rédaction de Premières Pages à Lioux, Yves Navarre fait un bref séjour à Paris, mi-septembre 1982, pour assister à l’une des réunions de la commission d’avances sur recettes dont il est membre. Il en profite pour se rendre au Théâtre des Bouffes du Nord à l’occasion de la création du spectacle Crime passionnel, « opéra pour un homme seul » écrit et composé par Pierre Philippe et Astor Piazzola pour Jean Guidoni.

Une carte, un décor, une rencontre

Quelques années plus tard, en 1986, lors de l’émission Effraction consacrée à Jean Guidoni, Yves Navarre fera référence à ce spectacle avec une anecdote troublante : « Je vais raconter ma rencontre avec Jean Guidoni. J’étais au paradis, c’est-à dire au dernier étage des Bouffes du Nord. J’étais très heureux d’y être. J’avais un petit peu le vertige […] J’étais au premier rang du paradis et j’ai eu une vue plongeante sur un décor qui m’a évoqué une carte postale que j’avais achetée il y a dix ans, de passage à New York, qui représentait un lit défait avec une flaque de sang et j’avais été fasciné – il y avait eu comme une répulsion et une fascination. […] Et cette carte, je l’ai gardée pendant dix ans dans mon tiroir […] et je ne trouvais jamais l’occasion d’envoyer cette carte qui était d’une cruauté, d’une passion terrible. Et puis je suis allé voir le spectacle de Jean aux Bouffes du Nord […] et j’ai vu quoi ? La carte. Je me suis dit : je ne connais pas Jean Guidoni mais voilà, cette carte a une signification, je l’ai achetée il y a dix ans, je vais la lui envoyer. Je lui envoie, je le rencontre, il me dit : c’est à partir de cette carte que nous avons fait le décor. »

« Ce que j’aime chez Jean, c’est qu’il chante avec son ventre »

Lors de cette émission, Effraction, qui lui est consacrée sur France 3 Paris, Jean Guidoni a convié plusieurs personnalités, parmi lesquelles William Sheller et Yves Navarre. C’est l’occasion pour l’écrivain de dire tout le bien qu’il pense de Guidoni : « Ce que j’aime chez Jean, c’est qu’il chante avec son ventre. C’est-à-dire, pour moi, il m’évoque ce que j’adore dans la chanson. J’aime Suzy Solidor, j’aime Marianne Oswald, j’aime Piaf. Pour moi, Jean, c’est le Suzy Solidor, c’est le Marianne Oswald et c’est le Edith Piaf qui chante avec son ventre ; ça me parle. Et puis, il est culotté. Il chante des chansons qui sont déculottées. Il n’ose pas avoir peur. Je veux dire par là qu’il va jusqu’au bout de ses chansons. Et alors, ça me touche. Ça m’embarque. »

« Le regard de Jean pour lequel j’ai écrit des chansons. Les chantera-t-il ? »

Le 20 mars 1987, Yves Navarre assiste à un récital de Jean Guidoni à l’Élysée-Montmartre. Le lendemain, il note dans son Journal* : « J’ai erré la nuit dernière après le spectacle de Jean Guidoni. C’est vraiment le grand chanteur de notre temps. Je lui ai, en coulisses, promis une chanson qui s’intitulera Baisers interdits. On verra. »

Le 1er mai 1987, Yves Navarre assiste à un gala pour Radio Libertaire auquel Jean Guidoni apporte son soutien. Le 2 mai, il note dans son Journal : « Jean Guidoni toujours aussi franc, percutant, poignant au Dejazet. Les chansons que j’ai écrites pour lui sont un peu tombées dans l’oubli. » Et le 3 mai : « J’ai dit à l’agent de Jean Guidoni que je n’irai plus écouter Jean que lorsqu’il chantera les chansons écrites pour lui. » Ces chansons, Guidoni, hélas, ne les chantera pas.

 


*  Journal, BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)

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