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Yves Navarre après l’élection de François Mitterrand en mai 1981 : « J’ai atteint, en citoyen, la/ma majorité. »

Lors du colloque international Yves Navarre (Liège, mai 2018), Philippe Leconte, secrétaire général des Amis d’Yves Navarre, dressa un historique des relations qui existèrent entre l’écrivain et François Mitterrand. En étudiant le Journal d’Yves Navarre ainsi que la correspondance entre les deux hommes, il expliqua comment ils s’étaient rencontrés, quels liens ils avaient tissés et dans quelles occasions ils s’étaient retrouvés avant et après l’élection de mai 1981. À l’occasion du quarantième anniversaire de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République française, nous vous proposons deux extraits de cet exposé à lire dans son intégralité dans les Cahiers Yves Navarre n°4 (H&O, 2019).

Lettre à François Mitterrand, 10 décembre 1977

Le 10 décembre 1977, à la demande d’une militante du Parti socialiste, Yves Navarre rédige un courrier à François Mitterrand, alors premier secrétaire du parti.

« Monsieur le Premier Secrétaire, ou cher Monsieur, je voudrais tant pouvoir d’emblée oser une formule plus simple qui ne soit justement pas une formule et implique un dialogue clair, net, direct, au fait, celui qui déjà s’est établi puisque vous êtes le Premier Secrétaire du Parti qui m’inspire et me guide. La réunion du Conseil de développement culturel de mercredi dernier doit être commentée. Les absents d’abord, si nombreux, si présents par leur absence. Les présents ensuite, les fidèles qui, sur une analyse juste, efficace dans sa modestie d’Alain Touraine (1), n’ont pu que contester ou expliquer dans le sens d’une confusion qui petit à petit oblitérait ce qu’il y avait “d’origine” et “d’utile” dans le travail de base proposé. Je vous vis déchiré et tenace. Et j’ai confiance en vous. Le pouvoir pour moi n’est pas une finalité mais un moyen. Romancier, dramaturge, on me prête des succès et des scandales qui n’ont rien à voir avec la réalité de mon rapport à l’écriture. Territoire intact, pas de concessions. Mercredi dernier, je n’ai pas pris la parole. J’ai eu un petit peu peur, je l’avoue, peur des fauteuils vides, peur aussi d’ajouter à l’insupportable confusion. Est-il encore temps de nous regrouper et de nous inspirer une innocence face au problème de la culture, de sa définition dans un esprit socialiste ? Le résumé de la note d’Alain Touraine pourrait tenir en quelques mots, une question. Comment nous entraîner loin de la reproduction des inégalités et de la soumission massive aux faux dieux de la technocratie ? Hélas, je ne sais pas théoriser. Mais je suis armé, sensible, présent, je vous écris, le seul espoir de retour étant que vous continuiez à être ce que vous êtes et que ma voix s’ajoute aux autres voix non seulement pour vous porter mais plus encore pour que vous supportiez et nous supportiez. Les prises de parole de mercredi dernier visaient encore à enfermer les mots dans des mots, à quantifier quand il est plus urgent que jamais de qualifier. Que faire ? Détail : Pourquoi Dominique (2) a-t-il encore peur d’admettre que la loi de 1957 qui donne un statut à l’artiste (donc à la culture) dans notre société, renvoie toujours à des “usages” qui ne sont pas précisés, et qui laissés au hasard font que l’exploitant devient exploiteur ? Pourquoi encore cette peur ? Il ne s’agit pas d’abolir une loi mais de la faire vivre, de la “préciser”, de la faire entrer dans le quotidien. Je rêve ? Un mot encore, et cette lettre me coûte parce que vous m’intimidez : les quelques présents de mercredi dernier ne s’aiment pas entre eux. Normal, me direz-vous, force des différences. Mais je crains que dans ce peu d’amour il y ait aussi des ambitions finales. Merci d’avoir écouté un de vos militants. Yves ».

L’élection de mai 1981 dans le Journal d’Yves Navarre

Vendredi 8 mai 1981 : « Le sentiment d’une France qui va préférer le mécontentement à la peur. Je vote Mitterrand. C’est tout ce que je peux dire. Il n’y a pas d’autre certitude pour moi. Le reste : la coupe en deux. Giscard parle de nationalisations et la France tremble. »

Samedi 9 mai 1981 : « Dans le train, j’ai rencontré Yvette Roudy (3). Elle achevait un tour de France de meetings. Nous avons longuement parlé de Mitterrand, Mauroy, Rocard, Mendès France. Et puis, un espoir. Une certitude. Le Parti vit désormais plus clair, rassemblé, responsable. Je crois au résultat du scrutin de demain. La République des fourbes doit cesser de piétiner les créateurs comme les travailleurs, au même rang, celui de l’humain. C’est un problème de morale. Alors je vivrai mieux car les paroles auront un sens. La presse de droite est devenue verte de peur. Le recours au drapeau. Les menaces de malheur. Mais qu’ont-ils peur de perdre ? »

Dimanche 10 mai 1981 : « À Joucas, sur 172 inscrits, 151 votes exprimés, 4 bulletins blancs, Giscard 71 et Mitterrand 76. […] Mitterrand est élu. […] Nous avons accueilli la nouvelle avec calme, ce bonheur grave qui caractérise les moments de “commencement”. Nous avons donc atteint la majorité dans tous les sens du terme. Je vais écrire des lettres. À des amis. Écrire. Des messages. Je m’interrogeais, ces derniers jours, sur la nature romantique de mon socialisme. Je me mettais à l’épreuve. Or ce changement de régime signifie pour moi l’effort et c’est ce qui détermine mon élan et l’a toujours provoqué. »

Lundi 11 mai 1981 : « Je repars pour Paris. Je ne peux pas ne pas vivre les jours à venir ailleurs qu’à Paris. […] En route. La joie : c’est l’effort. Que va faire l’être au pays de l’avoir ? J’ai atteint, en citoyen, la/ma majorité. »

Yves Navarre est décoré de la Légion d’honneur par le Président François Mitterrand en 1988

 


1. Alain Touraine, sociologue français, né le 3 août 1925.
2. Dominique Taddéi, homme politique français, né le 28 mai 1938.
3. Yvette Roudy, femme politique française, née le 10 avril 1929. Elle deviendra ministre des Droits de la femme.

 

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