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Yves Navarre et Igor Stravinsky, l’émotion de départ

De nombreux événements sont organisés en 2021 pour célébrer le cinquantenaire de la mort d’Igor Stravinsky, décédé le 6 avril 1971. Mélomane averti, Yves Navarre fait référence à ce remarquable compositeur dans son œuvre ainsi que dans son Journal  ; on y découvre notamment que le roman Évolène trouve son origine dans une représentation de L’Histoire du Soldat

Dans le neuvième chapitre de La Terrasse des audiences au moment de l’adieu (1), Yves Navarre évoque son installation dans un hôtel de Genève à l’occasion du Salon du livre. Il a l’habitude de recréer dans chaque chambre d’hôtel un coin-bureau avec des crayons taillés et une gomme. L’occasion pour lui de relater une anecdote : «  Avec quoi écrivez-vous monsieur Stravinsky  », réponse « avec une gomme  ».

Il y a cinquante ans, le 6 avril 1971, disparaissait à New York Igor Stravinsky, l’un des plus remarquables et surtout l’un des plus influents compositeurs du vingtième siècle. Yves Navarre écrivit dans son Journal à cette date : « Les oiseaux ont des vols fous autour du clocher de Saint-Germain. Un orage se prépare. Le ciel-édredon-gris étouffe la ville, s’écrase sur les toits. La mort a des douceurs de plume. Igor Stravinsky est mort aujourd’hui. À Central Park. Idole des États-Unis d’Amérique. Voyageur du monde. Les oiseaux ont des vols fous au- dessus de la Place-Cœur. L’orage va éclater.  » Yves Navarre était un mélomane averti. Il écrivit pour le mensuel Opéra International et tint une chronique dans La Revue de l’Opéra de Paris. Son Journal et sa correspondance témoignent de son assiduité à fréquenter les salles de concert et les opéras. Qu’il réside à Paris, dans sa maison de village dans le Luberon ou qu’il voyage, il ne se passe quasi pas de semaine sans qu’il n’assiste à un concert ou à un opéra, souvent pour applaudir les plus grands chefs, les orchestres les plus prestigieux et les plus belles voix de son temps. Chaque été, il est présent aux Chorégies d’Orange, au Festival d’Aix-en-Provence et il n’hésite pas à profiter de ses passages à New York pour se rendre souvent à plusieurs reprises au Metropolitan Opera.


«  Salut Soldat dont l’histoire me fut contée hier  »


En ce qui concerne Stravinsky, si Yves Navarre rapporte régulièrement tel ou tel concert auquel il a assisté, une représentation de L’Histoire du Soldat (2) au Théâtre de la Tempête sera l’élément déclencheur de son deuxième roman, Évolène. Ainsi note-t-il dans son Journal en date du 25 juin 1971 : «  Salut Soldat dont l’histoire me fut contée hier. Salut mon ami, mon frère. Toi qui as vendu ton violon. Comment faire oui, comment faire pour ne rien avoir. Et je garde ce programme avec moi, cette photo. Ce visage. Le soldat au violon. Voilà. Et ce matin, je déplie le programme, je me dis qu’il faut le conserver, le glisser dans ce journal comme une fleur dans un herbier. Et voilà que je lis le programme. C’est Élie Gagnebin qui fut le créateur du lecteur (3). Lui : Élie. Mon ami. J’ai cinq ans, six ans, sept ans : chaque été je le rencontre, en Suisse. Il rend visite à mes parents. Nous partons des jours entiers pour des balades en montagne. Champex. Évolène.  » Un concert comme une émotion de départ. Quelques mois plus tard, en décembre, Yves Navarre rédigera Évolène qui sera publié l’année suivante (4).

Par l’une de ces circonstances, l’un de ces non-hasards qui jalonnent sa vie et son œuvre, c’est lors de l’un de ces séjours en Suisse, en 1950, que se produisit une autre rencontre qui allait le marquer. Il nous la relate dans le chapitre 38 de Biographie, Les fraises des bois : «  Dans le salon [de l’hôtel], un piano. Yves joue “de mémoire”, en sourdine, toujours quand il n’y a personne. Le second jour, milieu d’après-midi, un client de l’hôtel, grand, maigre, au “visage d’artiste”, homme de distinction, étonnamment secret, toujours accompagné d’une femme encore plus grande et maigre que lui […] s’approche d’Yves, le surprend au piano, et la main sur son épaule, lui demande avec un fort accent germanique ”voulez-vous jouer pour nous ?”. Yves, bouche bée, le regarda, rougissant, tremblant déjà. […] Yves leur offrit “tout” son répertoire. Même la Lettre à Élise et surtout le Nocturne de Fauré. Et quand il eut dit “c’est tout ce que je sais”, la femme l’embrassa, l’homme applaudit. Ils l’invitèrent à aller prendre du thé et des gâteaux sur la terrasse. […] Yves nomma son lycée, parla de Vétheuil, d’Élie, de Stravinsky […]. Il raconta sa vie, à sa manière. […] Le monsieur s’appelait Rudolf Bing.  » L’année suivante il sera nommé directeur du Metropolitan Opera de New York. «  Yves ne le retrouvera que vingt-huit ans plus tard, en octobre 1978, au moment de la sortie du roman Les Loukoums à New York sous le titre de Sweet Tooth, la dent douce. […] La personne responsable du lancement du roman d’Yves aux États-Unis avait été l’attachée de presse de sir Rudolf. Retrouvailles.  » Quelque part avec Navarre tout est écrit d’avance et tout s’écrit en permanence.

 


(1) La Terrasse des audiences au moment de l’adieu, Leméac 1990

(2) Histoire du Soldat est un mimodrame composé en 1917 sur un texte de Charles-Ferdinand Ramuz pour trois récitants (le Lecteur, le Soldat et le Diable) et sept instrumentistes.

(3) La création eut lieu le 28 septembre 1918 dans une mise en scène de Georges Pitoëff, au théâtre municipal de Lausanne, sous la direction d’Ernest Ansermet. Le Lecteur était Élie Gagnebin, le Diable Jean Villard.

(4) Évolène, Flammarion 1972

Illustration : Programme collé par Yves Navarre dans son Journal

 

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